Le rabbin Yossef n'est connu ici que pour ses propos sur les "serpents" dans un contexte que je ne connais pas, mais parlant des arabes, ce qui est apparemment inadmissible, encore faudrait il connaitre exactement ses propos et leur sens, mais le personnage ne se réduit pas à cet épisode.
Pour Hervé-élie Bokobza, sa disparition est celle d'une ère d'érudits, ce que je pense assez vrai et représente pour moi une tragédie. Encore faut il bien sur que l'érudition rime avec humanité et coeur et courage, ce qui est encore plus rare.
Ce que je trouve bien lamentable ici, est le mépris dans lequel des ignorants prétentieux ici, tiennent des "arabes" et autres orientaux, véritablement érudits, eux, véritablement amoureux de l'étude et infinimement plus courageux que les petits marquis du PAF ou de l'Université ou autres ... qui dénigrent leurs propos.
Le
Rabbin Obadya Yossef ou la fin d'un mythe
9 octobre 2013, 18:22
« Il n’est pas de juste sur terre qui fasse le bien sans
jamais fauter. »
(Ec 7, 20)
La mort d’un érudit
Le Rabbin Obadya Yossef (1920-2013), qui
vient de disparaître, était véritablement une encyclopédie vivante.
Certainement l’un des rabbins qui a le plus produit dans le judaïsme. Il était
alors encore un jeune homme lorsqu’il publia ses premiers ouvrages, et il a
continué à produire jusque ses derniers jours. Il serait trop long de détailler
l'ampleur de son savoir. Quelles que soient les critiques qu’on peut avoir sur
le personnage, aussi véhémentes soient-elles, il est clair qu’il était un
monument de la connaissance juive et qu’à ce stade il mérite toute notre
attention.
Après avoir côtoyé plus d’une vingtaine
d’années le monde de la Torah, années durant lesquelles j’ai eu la chance de
rencontrer des maîtres, qui comptent parmi les plus grands de notre époque – la
plupart ne sont plus de ce monde –, je peux affirmer sans aucune exagération
que sous un certain aspect aucun d’entre eux n’a pu susciter autant
l’admiration. Rav Obadya Yossef était ce qu’on peut appeler un vrai panier
plein de livres[1], au sens le plus abouti. Plus de cinquante
pour cent des œuvres qu’il mentionne dans ses ouvrages sont quasiment inconnus
même des plus grands érudits.
Je me souviens lorsque j’étudiais à la
yéchiva j’entretenais une étude régulière sur ses livres, j’avais alors un
cahier dans lequel je notais mes vives interrogations sur ses écrits. J’ai très
vite compris l’absurdité de ma démarche. Non que j’aie pu trouver des réponses
à mes questions, j’ai simplement vite réaisé que la Torah ne saurait servir
d’instrument juste dans le but de détruire les arguments de l’autre[2] et à plus forte raison lorsqu’on a
affaire à un monument halakhique tel que lui. Certes aucun auteur n’est
infaillible ; « si un élève n’est pas d’accord avec son maître,
disent les sages, il lui est interdit de se taire »[3], mais on ne peut systématiser une démarche
qui aurait pour objet de chercher la faille chez l’autre en le croyant
incapable de justifier son propos sans tenir compte de son immense érudition[4].
Le mérite de permettre vaut plus que
celui d’interdire
Aussi on ne peut réduire le personnage
uniquement au champ politique et occulter le bien qu’il a pu aussi
apporter au peuple juif, principalement en matière de législation rabbinique.
Que ce soit dans ses capacités immenses de trouver des permissions à des femmesagounot[5] ou à des enfants issus d’unions
interdites et qui selon la halakha ne peuvent se marier. Le rav Obadya Yossef
avait réellement autorité en ces domaines, à l’instar d’un rav Moshé Feinstein
en son temps ainsi que quelques autres du même acabit. Il était le dernier sur
qui on pouvait compter, il savait apporter des permissions entièrement fondées
sur la halakha jusque dans les situations les plus complexes.
Pour le Talmud[6], en effet, il y a un plus grand mérite à
permettre qu’à interdire. Car, nous dit Rachi, lorsqu’un sage interdit il n’a
pas besoin de justifier son propos autant que lorsqu’il permet. Dans ce dernier
cas il lui faudra alors démontrer son argumentation sur des bases solides. Et
c’est surtout ici qu’excellait l’auteur du Yabia Omer. Personne ne
pouvait à ce stade raisonnablement rivaliser avec lui. Lorsqu’il démontrait
qu’une chose est permise, y compris contre l’évidence, sa force de persuasion
était telle,qu’il était capable de justifier ses positions en s’appuyant sur
une telle quantité d’ouvrages que personne ne pouvait lui donner tort ou au
moins ne pas admettre qu’il avait sur qui s’appuyer.
LeTalmud[7] cherche à savoir ce qui est le plus
important, la connaissance générale des textes, Sinaï[8], ou bien l’approfondissement des sujets
étudiés, OkerHarim[9].Sa conclusion est que même s’il
est nécessaire de maîtriser en profondeur les sujets, ce qui permet d’éviter
les contresens, rien ne vaut l’étendue du savoir :car « on a tous
besoin de celui qui détient la farine ». Le Rav Obadya Yossef n’était
certes pas en restepour ce qui est de l’approfondissement des textes, mais
c’est bien davantage en matière d’érudition pure qu’il s’est démarqué de ses
contemporains, c’est chez lui qu’on allait chercher la farine.
Le dernier d’une époque
Les sages disent : que « si
les anciens sont des fils d’anges, nous sommes des fils
d’hommes. S’ils sont des fils d’hommes, c’est que nous ne
sommes que des ânes »[10]. Le Rav Simha Elberg (1911-1996)[11] disait que si la providence a permis
que se chevauchent les générations entre elles c’est afin de nous montrer par
l’exemple de nos anciens une idée de ce qu’étaient les maîtres des siècles
passés. Même si ça peut paraître étonnant il suffit d’un œil avisé pour se
rendre compte d’à quel point cette assertion est juste. Il est en effet
impossible de comparer les sages des quelques générations précédentes à ceux de
notre époque. Il est clair par exemple, à moins d’un miracle, le peuple juif ne
produira plus un Maïmonide, un gaon de Vilna, un Baal Hatanya, un Rav Haïm de
Brisk etc…, il ne s’agit pas de dénigrer les contemporains mais de bien
comprendre que si la connaissance va au fur et à mesure des années en
s’augmentant c’est justement parce que l’accès au savoir est facilité, mais pas
qu’on a gagné en subtilité intellectuelle, bien au contraire. C’est pour cette
raison que, paradoxalement,il devient de plus en plus difficile de tirer son
épingle du jeu sur le terrain des connaissances. Ceci est d’autant plus
vrai à l’aune d’internet où les sources sont devenues accessibles y compris aux
non initiés, et ce, pas toujours pour la meilleure des causes.
C’est pourquoi de nos jours la qualité
d’un érudit ne s’exprime pas tant dans le fait d’être unpanier plein de
livres, comme c’était le cas avant, mais dans le fait de bien saisir le
sens des sujets étudiés, et d’être capable d’innover à savoir de produire du hidoush dans
l’enseignement de la Torah. Ainsi il faut admettre que sur le terrain de la
profondeur il y eut dans les dernières décennies des érudits capables d’apporter
un éclairage réellement nouveau dans l’enseignement rabbinique, avec une
subtilité intellectuelle hors du commun. On peut citer sur ce registre la
subtilité intellectuelle d’un Ravde Brisk, ou plus récemment du Rav Moshé
Feinstein, ou du Rabbi de Loubavitch, la liste n’est pas exhaustive. Aussi même
si nous l’avons dit le Rav Obadya Yossef n’était pas démunis d’une certaine
profondeur, c’est surtout sur l’étendue de l’érudition qu’il s’est
particulièrement fait remarqué. À l'instar de ce que nous dit le Talmud :
« Un disciple des sages c’est celui qui est capable de répondre à une
question posée sur n’importe quel sujet, y compris sur le traité talmudique de
la fiancée », traité que personne n’a l’habitude d’étudier[12].
Et même si on a émis des réserves sur le
personnage notamment depuis sa contribution dans la politique israélienne et
surtout dans certaines de ses dérives verbales qui ont défrayé la chronique, il
n’est ni le lieu ni l’heure de nous attarder sur ce point, il n’en demeure pas
moins que cet homme était certainement la dernière image qui restait au peuple
juif des grands d’Israël. Une époque qui avec lui, signe sa fin, comme si nous
devions tourner la page d’un univers définitivement révolu.
Torah et grandeur
Les Sages disent que depuis la mort de
Rabbi Yéhouda ha Nassi on a plus trouvé en un seul endroit Torah et grandeur[13] ; en ce sens, sans porter
jugement, le Rav Obadya Yossef n’était certes pas un exemple de grandeur
morale, mais il est certainement le dernier grand en matière de connaissance
religieuse. Il ne s’agit pas pour moi de faire dans l’apologie, ou de rattraper
ce qui ne doit pas l'être, mais de montrer uniquement l’évolution de ce qu’on
peut appeler l'histoire de l'enseignement rabbinique.
L’auteur du Yabia Omer était,
peut-être même malgré lui, le signe de la fin d'une époque. Le dernier d’une
lignée de sages qu’on ne trouvera plus ; « Dommage pour ceux qui
partent et que l’on ne retrouve plus »[14].
Le fait que ce signe soit rendu visible
à partir d’un personnage qui a aussi fait polémique montre certainement encore
plus la pertinence de mon propos. Tout se passe comme si lui même n'était pas à
la hauteur de s'auto-représenter. La décadence étant tombé à un point tel que
la responsabilité inhérente à un homme de Torah tel que lui était trop immense
pour qu’il puisse en être le digne représentant. La charge qui s'incombait à
lui était certainement trop lourde à porter. Mais les faits son tenaces et
têtus. La mort du leader du parti Shassn’est pas simplement la
disparition d’un rabbin de plus parmi d’autres, mais signe la fin de ce que le
Judaïsme a pu produire de meilleure en matière de génies de la connaissance
juive.
À mon avis c’est ce que l’histoire
retiendra dans les décennies à venir dans lesquelles on sera loin d’épuiser ce
qu’il reste à découvrir de ce que ce rabbin a pu apporter à la réalité du
peuple juif.
Hervé élie Bokobza
[1] Cf.Méguila 28, b.
[2] Cf. le commentaire des Tossafot 50,
b.
[3] R. Josef ‘Habiba (XVe siècle), (Nimoukey
Yosef sur Sanhédrin 36, a)
[4] Cf. Baba
Batra 129, b – 130, a.
[5]Il s’agit de femmes qui ne peuvent se
remarier ou bien parce qu’elles n’ont pas reçu le divorce de leur mari ou bien
parce qu’on ne sait plus s’ils sont vivants.
[6] Cf. Betsa 2,
b.
[7] Horaïot14,
a.
[8] Façon de dire qu’il maitrise la
connaissance telle qu’elle a été donnée au Sinaï.
[9] Littéralement « qui déracine les
montagnes ».
[10] Shabbat112, b.
[11] Auteur du Shalmé Simha,
rav qui a fait parti des étudiants de la yéchiva de Mir qui sont allés étudier
à Shanghai, et qui comptait parmi les plus grands érudits des États Unis.
[12] Shabbat114, a et le
commentaire de Rashi.
[13] Littéralement grandeur dans le sens
de richesse ou de pouvoir politique. Rabbi Yéhouda ha Nassi était en effet très
riche. Mais on peut aussi voir la « grandeur » sur le plan moral, le
fait d’exceller dans les vertus.
[14]Sanhédrin 111, a.
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