CHANSON DE LA PASTOURE
Il n’est si joli métier
Que de mener en pâture
Ses agneaux sur la verdure,
Jamais je n'en changerai.
Qui verrait ces bergerettes
Et ces plaisants pastoureaux
S'entr'aimer par amourettes,
Tresser des fleurs en chapeaux,
Il dirait qu'il n'est sentier
Ni voye qui soit si pure,
Jamais d'autre n'aurait cure
Mais s'en voudrait contenter ;
Il n'est si joli métier.
Ces pastours sur leur musette,
Au gazouillis des oiseaux,
Vous disent des bergerettes
Et des beaux motets nouveaux ;
Ils aiment de coeur entier ;
Au son de leur turelure,
Dansent tant que l'été dure,
Autre ébat n'ont le penser.
Il n'est si joli métier.
“ JE NE SAIS COMMENT JE DURE... ”
Je ne sais comment je dure,
Car mon dolent (1) cœur fond d'ire (2)
Et plaindre n'ose, ni dire
Ma doleureuse (3) aventure,
Ma dolente vie obscure (4).
Rien, hors la mort ne désire ;
Je ne sais comment je dure.
Et me faut, par couverture (5),
Chanter que (6) mon cœur soupire
Et faire semblant de rire ;
Mais Dieu sait ce que j'endure.
Je ne sais comment je dure.
2. chagrin
3. Doloureuse (du latin dolor, douleur).
4. Sombre, triste.
5. Par dissimulation.
6. Pour “ce que”
MOI, CHRISTINE, QUI AI PLEURÉ
Moi, Christine, qui ai pleuré
Onze ans en abbaye fermée,
Ou j'ai toujours demeuré depuis
Que Charles (c'est chose étrange !)
Le fils du roi, si j'ose rappeler ce souvenir,
S'enfuit de Paris, tout droit,
Par suite de la trahison là incluse :
Maintenant pour la première fois je me prends à rire.
L'an mil quatre cent vingt neuf
Recommença à luire le soleil ;
Il ramène le temps nouveau
Qu'on n'avait pas vu de l'oeil
Depuis longtemps ; dont plusieurs en deuil
Ont vécu. Je suis de ceux-là ;
Mais de rien je ne me chagrine plus,
Puisque maintenant je vois ce que je veux.
Qui vit donc chose advenir
Plus hors de toute atteinte,
Laquelle à noter et de laquelle se souvenir
Est bon en toute région :
C'est à savoir que France, de qui discours,
On faisait qu'à terre était renversée,
Soit par divine mission,
Du mal en si grand bien changée ?
Et cela par tel miracle vraiment
Que, si la chose n'était notoire
Et évidents le fait et la manière,
Il n'est homme qui pût le croire :
C'est une chose bien digne de mémoire
Que Dieu par une vierge tendre
Ait précisément voulu (c'est une chose vraie)
Sur la France si grande grâce étendre.
O ! Quel honneur à la couronne
De France se voit par divine preuve !
C'est par les grâces qu'il lui donne
Il paraît combien Dieu l'approuve
Et que plus de foi d'autre part il trouve
En la maison royale, dont je lis
Que jamais (ce n'est pas une chose nouvelle)
En la foi errèrent les fleurs de lis.
Toi, Jeanne, à une bonne heure née,
Béni soit celui qui te créa !
Pucelle de Dieu envoyée
En qui le Saint Esprit fit rayonner
Sa grande grâce ; et qui eus et as
Toute largesse en son haut don,
Jamais ta requête ne te refusa
Et il te donnera assez grande récompense...
Et sa belle vie, par ma foi !
Montre qu'elle est en la grâce de Dieu,
C'est pourquoi on ajoute plus de foi
A son fait ; car, quoi qu'elle fasse,
Toujours à Dieu devant la face,
Qu'elle invoque, sert et prie
En actions, en paroles ; en quelque endroit qu'elle aille,
Elle ne retarde pas ses dévotions.
Oh ! comme alors cela bien parut
Quand le siège était à Orléans,
Où en premier lieu sa force apparut !
Jamais miracle, ainsi que je pense,
Ne fut plus clair ; car Dieu aux siens
Vint tellement en aide, que les ennemis
Ne se défendirent pas plus que chiens morts.
Là furent pris ou à mort mis.
Hé ! quel honneur au féminin
Sexe ! Que Dieu l'aime il paraît bien,
Quand tout ce grand peuple misérable comme chiens
Par qui tout le royaume était déserté
Par une femme est ressuscité et a recouvré ses forces,
Ce que hommes n'eussent pas fait,
Et les traîtres ont été traités selon leur mérite,
A peine auparavant l'auraient-ils cru.
Une fillette de seize ans
(N'est-ce pas une chose au-dessus de la nature ?)
A qui les armes ne sont pesantes,
Mais il semble que son éducation
Ait été faite à cela, tant elle y est forte et dure ;
Et devant elle vont fuyant
Les ennemis, et nul n'y résiste.
Elle fait cela, maint yeux le voyant.
Et elle va d'eux débarrassant la France
En recouvrant châteaux et villes,
Jamais force ne fut si grande,
Qu'ils soient par centaines ou par milliers...
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