Paul Verlaine


Vers pour être calomnié

    À Charles Vignier

    Ce soir je m'étais penché sur ton sommeil.
    Tout ton corps dormait chaste sur l'humble lit,
    Et j'ai vu, comme un qui s'applique et qui lit,
    Ah ! j'ai vu que tout est vain sous le soleil !

    Qu'on vive, ô quelle délicate merveille,
    Tant notre appareil est une fleur qui plie !
    Ô pensée aboutissant à la folie !
    Va, pauvre, dors, moi, l'effroi pour toi m'éveille.

    Ah ! misère de t'aimer, mon frêle amour
    Qui vas respirant comme on respire un jour !
    Ô regard fermé que la mort fera tel !

    Ô bouche qui ris en songe sur ma bouche,
    En attendant l'autre rire plus farouche !
    Vite, éveille-toi ! Dis, l'âme est immortelle ?

Paul Verlaine

Un veuf parle

    Je vois un groupe sur la mer.
    Quelle mer ? Celle de mes larmes.
    Mes yeux mouillés du vent amer
    Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes
    Sont deux étoiles sur la mer.

    C'est une toute jeune femme
    Et son enfant déjà tout grand
    Dans une barque où nul ne rame,
    Sans mât ni voile, en plein courant...
    Un jeune garçon, une femme !

    En plein courant dans l'ouragan !
    L'enfant se cramponne à sa mère
    Qui ne sait plus où, non plus qu'en....
    Ni plus rien, et qui, folle, espère
    En le courant, en l'ouragan.

    Espérez en Dieu, pauvre folle,
    Crois en notre Père, petit.
    La tempête qui vous désole,
    Mon coeur de là-haut vous prédit
    Qu'elle va cesser, petit, folle !

    Et paix au groupe sur la mer,
    Sur cette mer de bonnes larmes !
    Mes yeux joyeux dans le ciel clair,
    Par cette nuit sans plus d'alarmes,
    Sont deux bons anges sur la mer.

    1878.

Paul Verlaine


Chanson d'automne

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Verlaine
Poèmes saturniens

Un crucifix

    À Germain Nouveau
    Église Saint-Géry, Arras.

    Au bout d'un bas-côté de l'église gothique,
    Contre le mur que vient baiser le jour mystique
    D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux,
    Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,
    Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,
    Et la gloire d'or sombre en langues échancrées
    Flue autour de la tête et des bras étendus,
    Tels quatre vols de flamme en un seul confondus.
    La statue est en bois, de grandeur naturelle,
    Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle
    Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit.
    Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit
    N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire
    L'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire.
    " Voilà l'homme ! " Robuste et délicat pourtant.
    C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant,
    Et c'est bien la poitrine où bat le Coeur immense :
    Par les lèvres le souffle expirant dit : " Clémence " ,
    Tant l'artiste les a disjointes saintement,
    Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ;
    La couronne d'épine est énorme et cruelle
    Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle
    Vers l'ignorance humaine et l'erreur du pécheur,
    Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur
    D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne,
    Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ;
    On sent qu'il s'offre au Père en toute charité,
    Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté,
    Pour spécialement sauver vos âmes tristes,
    Pharisiens naïfs, sincères jansénistes !
    - Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien
    Et bon poète aussi - les trois s'accordent bien -
    Vit cette oeuvre sublime, en fit une copie
    Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie,
    Très gracieusement chez moi vint l'oublier.
    Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. -

    Août 1880.

Paul Verlaine

Prière du matin

    Seigneur, exaucez et dictez ma prière,
    Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,
    Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,
    Et qui m'avez aimé de toute éternité.

    Car - ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère
    Miséricordieux, que, cent fois médité,
    Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, -
    Oui, vous m'avez aimé de toute éternité,

    Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière,
    Vous la voulez heureuse et pour la faire ainsi,
    Dès avant l'univers, dès avant la lumière,
    Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.

    Exaucez ma prière après l'avoir formée
    De gratitude immense et des plus humbles voeux,
    Comme un poète scande une ode bien-aimée,
    Comme une mère baise un fils sur les cheveux.

    Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire
    Il me faut être heureux, d'abord dans la douleur
    Parmi les hommes durs sous une loi sévère,
    Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,

    Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie
    Éternelle, ravi dans les splendeurs des saints,
    Ô donnez-moi la foi très forte, que je croie
    Devoir souffrir cent morts s'il plaît à vos desseins ;

    Et donnez-moi la foi très douce, que j'estime
    N'avoir de haine juste et sainte que pour moi,
    Que j'aime le pécheur en détestant mon crime,
    Que surtout j'aime ceux de nous encore sans foi ;

    Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure
    Sur l'impropriété de tant de maux soufferts,
    Sur l'inutilité des grâces et sur l'heure
    Lâchement gaspillée aux efforts que je perds ;

    Et que votre Esprit Saint qui sait toute nuance
    Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur :
    Donnez, juste Seigneur, avec la confiance,
    Donnez la méfiance à votre serviteur.

    Que je ne sois jamais un objet de censure
    Dans l'action pieuse et le juste discours ;
    Enseignez-moi l'accent, montrez-moi la mesure ;
    D'un scandale, d'un seul, préservez mes entours ;

    Faites que mon exemple amène à vous connaître
    Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous,
    Vos enfants sans leur Père, un état sans le Maître,
    Et que, si je suis bon, toute gloire aille à vous ;

    Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires,
    L'homme, la patience et ce devoir dicté,
    Aura fructifié de mon mieux dans vos serres,
    Laissez-moi vous aimer en toute charité,

    Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses
    Aimer jusqu'à la mort votre perfection,
    Jusqu'à la mort des sens et de leurs mille ivresses,
    Jusqu'à la mort du coeur, orgueil et passion,

    Jusqu'à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle
    Que votre volonté dès longtemps appelait
    Vers l'humilité sainte éternellement belle,
    Mais lui, gardait son rêve infernalement laid,

    Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques,
    Spéculation creuse et calculs impuissants
    Ronflant et s'étirant en phrases pléthoriques.
    Ah ! tuez mon esprit et mon coeur et mes sens !

    Place à l'âme qui croie, et qui sente et qui voie
    Que tout est vanité fors elle-même en Dieu ;
    Place à l'âme, Seigneur, marchant dans votre voie
    Et ne tendant qu'au ciel, seul espoir et seul lieu !

    Et que cette âme soit la servante très douce
    Avant d'être l'épouse au trône non-pareil.
    Donnez-lui l'Oraison comme le lit de mousse
    Où ce petit oiseau se baigne de soleil,

    La paisible oraison comme la fraîche étable
    Où cet agneau s'ébatte et broute dans les coins
    D'ombre et d'or quand sévit le midi redoutable
    Et que juin fait crier l'insecte dans les foins,

    L'oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule,
    Fût-ce dans le tumulte et l'erreur des cités.
    Donnez-lui l'oraison qui sourde et d'où découle
    Un ruisseau toujours clair d'austères vérités :

    La mort, le noir péché, la pénitence blanche,
    L'occasion à fuir et la grâce à guetter ;
    Donnez-lui l'oraison d'en haut et d'où s'épanche
    Le fleuve amer et fort qu'il lui faut remonter :

    Mortification spirituelle, épreuve
    Du feu par le désir et de l'eau par le pleur
    Sans fin d'être imparfaite et de se sentir veuve
    D'un amour que doit seule aviver la douleur,

    Sécheresses ainsi que des trombes de sable
    En travers du torrent où luttent ses bras lourds,
    Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable
    Au milieu de cette eau qui l'assoiffe toujours,

    Mais cette eau-là jaillit à la vie éternelle,
    Et la vague bientôt porterait doucement
    L'âme persévérante et son amour fidèle
    Aux pieds de votre Amour fidèle, ô Dieu clément !

    La bonne mort pour quoi Vous-Même vous mourûtes
    Me ressusciterait à votre éternité.
    Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes
    Et bénissez l'effort de ma débilité !

    Pitié, Dieu pitoyable ! et m'aidez à parfaire
    L'œuvre de votre Coeur adorable en sauvant
    L'âme que rachetaient les affres du Calvaire :
    Père, considérez le prix de votre enfant.

Paul Verlaine

Il pleure dans mon coeur. - Paul Verlaine


Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!
                             P.Verlaine(1844-1896)  

Nuit du Walpurgis classique

    C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre.
    Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement
    Rhythmique. - Imaginez un jardin de Lenôtre,
    Correct, ridicule et charmant.

    Des ronds-points ; au milieu, des jets d'eau ; des allées
    Toutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marins
    De bronze ; çà et là, des Vénus étalées ;
    Des quinconces, des boulingrins ;

    Des châtaigniers ; des plants, de fleurs formant la dune ;
    Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila ;
    Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune
    D'un soir d'été sur tout cela.

    Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
    Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
    De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
    L'air de chasse de Tannhauser.

    Des chants voilés de cors lointains où la tendresse
    Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords
    Harmonieusement dissonants dans l'ivresse ;
    Et voici qu'à l'appel des cors
    S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,
    Diaphanes, et que le clair de lune fait
    Opalines parmi l'ombre verte des branches,
    - Un Watteau rêvé par Raffet ! -

    S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres
    D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond,
    Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
    Très lentement dansent en rond.

    - Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée
    Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
    Ces spectres agités en tourbe cadencée,
    Ou bien tout simplement des morts ?

    Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite
    L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée, - hein ? - tous
    Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,
    Ou bien des morts qui seraient fous ?

    N'importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes,
    Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
    Comme dans un rayon de soleil des atomes,
    Et s'évaporent à l'instant

    Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre
    Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument
    Plus rien - absolument - qu'un jardin de Lenôtre,
    Correct, ridicule et charmant.

Paul Verlaine


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