Nouveau carton jaune à Amnesty International
LETTRE
OUVERTE AU SECRETARIAT INTERNATIONAL D’AMNESTY
Cette
lettre ouverte est adressée à Salil Shetty, Secrétaire général, Amnesty
International, à Steven W. Hawkins, directeur exécutif, Amnesty International
USA, et au conseil d’administration d’Amnesty International par MeHarriet
Wistrich, avocate en droits de la personne, au Royaume-Uni
Le 25
juillet 2015
MM.
Shetty et Hawkins, et messieurs et mesdames les membres du C.A. d’Amnesty
International,
Je vous écris en tant que membre de longue date d’Amnesty et en
tant qu’avocate éminente des droits humains basée au Royaume-Uni, pour
m’objecter avec la plus grande fermeté au «projet de politique sur le travail
du sexe» qu’on me dit être à l’étude pour adoption lors de votre prochaine
réunion du Conseil international d’AI à Dublin, en août. Cette politique entend
promouvoir la dépénalisation complète de l’industrie du sexe, ce qui conduirait
selon moi à une augmentation significative des violations des
droits humains dans le monde entier, au détriment particulier des femmes et des
filles, mais sans s’y limiter. Je perçois donc une telle
démarche comme un désastre pour la réputation d’Amnesty et pour le combat pour
la garantie universelle de droits humains partout sur la planète. J’en fais une
lettre ouverte que j’espère voir d’autres d’autres personnes et organismes
cosigner – ou vous écrire dans des termes similaires – pour vous conjurer de ne
pas adopter cette politique.
On m’a accordé l’an dernier le Prix Liberty Human Rights Lawyer 2014, en reconnaissance de
mon travail juridique au Royaume-Uni à tenir tête à la police et à d’autres
organismes d’État autour des questions de viol, de traite des personnes, de
détention par les autorités d’immigration, de décès aux mains de l’État et de
la discrimination envers les femmes dans le système de justice pénale. Mon travail
m’a souvent amenée à contester la criminalisation des individus et des groupes
socialement exclus, y compris les victimes de racisme, de violence et notamment
d’agressions sexuelles. Voici quelques-unes des causes où je me suis
impliquée : Emma Humphreys (une jeune femme prostituée reconnue coupable
du meurtre de son proxénète et partenaire violent); la famille de Jean Charles
de Menezes (abattu par la police britannique il ya dix ans); certains des
hommes britanniques détenus et torturés à Guantanamo Bay; deux des victimes du
chauffeur de taxi et violeur en série John Worboys, dans une contestation
réussie des privilèges de la police (qui s’est soldée par la reconnaissance
d’un devoir d’enquêter); femmes détenues et sexuellement agressées par des
gardes au centre de détention de l’immigration Yards Wood; et un groupe de
femmes qui ont été trompées lors de relations intimes contractées avec des
policiers en civil.
Ma partenaire, Julie Bindel, est une abolitionniste féministe de
longue date. Elle est membre du conseil d’administration de Space International[1],
une organisation de défense des droits humains, guidée par des survivantes, qui
appelle à la fin à l’exploitation sexuelle commerciale des femmes et des filles
dans le commerce du sexe. Space International jouit de l’appui de l’ancien
président Jimmy Carter, et de plusieurs autres figures de proue de la scène
politique internationale. En trois décennies de recherches, d’enquêtes
journalistiques et des campagnes de pression dans ce domaine, Mme Bindel a
visité plusieurs pays et États qui ont légalisé le commerce du sexe. C’est
parce qu’elle est convaincue du préjudice qu’un tel régime apporte au
traitement des violences à l’égard des femmes et des enfants qu’elle a décidé
l’an dernier de divulguer, dans la presse nationale britannique[2],
les plans d’Amnesty International pour instaurer subrepticement cette
dépénalisation.
J’ai eu l’occasion d’être renseignée, principalement par des
survivantes de la prostitution, sur les très grands torts causés aux femmes
prostituées par cette industrie. La plupart de celles qui
vendent des actes sexuels subissent éventuellement de graves problèmes de santé
physique et mentale du fait de «travailler» dans cette industrie et d’affronter
le risque constant d’être violées ou assassinées comme risque professionnel.
Beaucoup de femmes qui ont réussi à quitter l’industrie se prononcent de plus
en plus en faveur d’un mouvement abolitionniste croissant et contre ce qu’on
appelle le mouvement des «droits des travailleurs du sexe», lequel est, me
disent-elles, largement dirigé par des proxénètes, des propriétaires de bordels
et des personnes comme des adeptes du sadomasochisme et des escortes masculines
gay, qui ne représentent en rien la majorité des personnes prostituées, qui y vivent
de la violence.
On me dit que beaucoup de supporters d’une décriminalisation générale
estiment que toute criminalisation de l’industrie a pour effet de stigmatiser
les personnes qui vendent du sexe, et que le commerce du sexe devrait être
considéré comme un métier comme un autre. On fait ainsi valoir que la dépénalisation
créera la possibilité de réglementer l’industrie et de favoriser ainsi une
réduction de ses méfaits. Toutefois, un nombre croissant de recherches
indiquent que dans les régimes comme ceux de l’Allemagne, l’Australie, la
Nouvelle-Zélande, l’État du Nevada et les Pays-Bas où la prostitution a été
légalisée ou dépénalisée, on observe une augmentation de la demande qui à son tour
conduit à une augmentation de la traite de personnes amenées de pays pauvres ou
forcées à la prostitution. Ces
régimes conduisent donc à une augmentation de la traite légale et illégale des
personnes.
J’ai
récemment eu l’occasion de visiter au Canada le quartier DownTown Eastside de
Vancouver, une zone de tolérance prostitutionnelle, avec pour guide Summer
Rain, une Autochtone survivante de la prostitution qui y a vécu de nombreuses
années à partir de l’époque où elle a été prostituée comme enfant. Alors que
c’est un secteur conçu pour offrir des services de réduction des méfaits, tels
que des préservatifs gratuits et des sites d’injection supervisée, c’est en
fait très clairement un dépotoir pour les femmes les plus endommagées et
socialement exclues – et ce n’est pas un hasard si c’est également le secteur
où ont disparu ou été trouvées assassinées bon nombre de plus de mille femmes
autochtones canadiennes.
Je veux soutenir sans réserve la dépénalisation de personnes prostituées et je plaiderais également pour uneradiation des condamnations pénales découlant
de la prostitution, notamment parce que ces condamnations sont
un obstacle majeur à la sortie du milieu. Cependant, je tiens à m’opposer fermement
à une dépénalisation de tierces parties qui tirent profit de cette prostitution – tels que les proxénètes, agences
d’escortes, propriétaires de bordels et autres exploiteurs. Je veux également soutenir la criminalisation de tout achat
d’actes sexuels. Je
ne crois pas que la prostitution soit inévitable, ou que toute personne ait le
droit d’acheter du sexe.
Je crois que la seule approche de la prostitution fondée sur les
droits humains doit être celle qui cherche son abolition.Le projet de résolution amené par Amnesty de
dépénaliser tout «travail du sexe» est défaitiste et il encouragera une
exploitation et des violences accrues à l’égard des femmes et des filles les
plus vulnérables et les plus privées de droits de notre société.
Veuillez
agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Harriet
Wistrich
Royaume-Uni
harrietwistrich64@yahoo.co.uk
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