Pascale Boistard au Sénat : lutte contre le système prostitutionnel

Un discours très clair sur la responsabilité et la culpabilité des "consommateurs" de prostitution






Intervention de Pascale Boistard concernant la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées – 2ème lecture au Sénat – Discussion générale- le 14-10-15
Femmes.gouv.fr | Publié le 14 octobre 2015
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission spéciale,
Madame la Rapporteure,
Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,
Mesdames les Sénatrices,
Messieurs les Sénateurs,

1.      C’est une lourde responsabilité que nous avons aujourd’hui.
Nous devons en effet affirmer ensemble notre volonté de faire reculer la traite des êtres humains et les violences qui accompagnent la prostitution.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est porteur de progrès importants. Pour les personnes prostituées, pour notre société, pour les droits humains, et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
De nombreux a priori pèsent sur ce sujet encore tabou et finalement peu connu. Mais peu importe d’être spécialiste du sujet, il suffit de regarder les faits, sans préjugés. Avec le sérieux et la gravité qu’ils réclament.
2.      Cette proposition de loi que nous examinons ce soir trouve son origine dans le travail mené de manière transpartisane par Danielle Bousquet, alors députée et aujourd’hui présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et de Guy Geoffroy, Président de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale.
Suite à leurs travaux, en décembre 2011, les députés ont voté à l’unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de notre pays. Cette décision honore la France.
Cette unanimité a  été confirmée en juin dernier lors de la deuxième lecture de ce texte à l’Assemblée nationale.
Je veux prendre quelques instants pour saluer les pionniers et les pionnières, élus, associations, chercheurs, médecins, magistrats qui ont levé le voile sur cette violence et ont lancé les réflexions en France. Ces citoyennes et citoyens engagés ont fait un travail de pédagogie crucial et palpable dans notre société. Pour que l’achat d’actes sexuels ne reste pas impuni et donc légitimé. Pour que les victimes cessent d’être stigmatisées et soient soutenues.
3.      La première question que je me suis posée, lorsque je me suis emparée de ce sujet, est de savoir quelle réalité se cache derrière ce mot « prostitution » ?
La prostitution, ce sont des actes sexuels répétés et non désirés, imposés par la précarité et aujourd’hui majoritairement, par la menace des mafias qui maintiennent sous emprise des femmes.
Le Président de la République l’a exprimé très clairement à la tribune de l’ONU, le 27 septembre dernier. La France est mobilisée contre toutes les violences faites aux femmes, et parmi ces violences, il y a les violences sexuelles, il y a la prostitution.
Le quotidien des personnes prostituées, ce sont des violences inouïes, allant parfois jusqu’au meurtre. Le taux de mortalité des prostituées est 6 fois plus élevé que celui du reste de la population. Comme en témoignent les colonnes de votre presse quotidienne régionale, de nombreuses personnes prostituées sont assassinées, le plus souvent par leurs « clients ». Ce ne sont pas des faits divers, ce sont des féminicides.
Une enquête de l’institut national de veille sanitaire montre que 36% des personnes prostituées ont subi un viol au cours de leur vie.
Au nom de quoi faudrait-il accepter de sacrifier les droits, les vies de femmes et d’hommes ? Pour assouvir le désir sexuel de quelques-uns ?
Ce n’est pas la société que nous voulons.
Mais c’est cela la réalité de la prostitution.
Alors je me demande comment certains peuvent encore  parler d’un métier ? D’un choix ?
Ceux qui mettent en avant la liberté de disposer de son corps se trompent de débat.
Le système prostitutionnel induit au contraire la contrainte.  La contrainte sexuelle, physique, et financière.
Ce n’est pas la liberté des femmes qu’ils défendent, mais c’est le droit de certains hommes à disposer de leur corps.
4.      Je suis allée sur le terrain. En maraude ou dans des centres d’hébergement sécurisés.
J’ai pu constater, la douleur engendrée par ces parcours de contraintes.
Si cela n’est pas clair pour tout le monde, la loi doit l’énoncer : les femmes ne sont pas des objets.
Je refuse d’accepter que des hommes puissent continuer à violenter, dominer, humilier, contre quelques euros.
Pour celles et ceux parmi vous qui sont allés aux côtés des travailleurs sociaux, des associations, vous le savez : dès lors que l’on rencontre ces personnes victimes de la prostitution, leur situation effroyable suscite l’indignation et la volonté d’agir.
C’est avant tout pour elles, pour apporter des solutions à leurs situations dramatiques, que je suis devant vous aujourd’hui.
5.      Car c’est le but de cette proposition de loi, qui se fonde sur quatre piliers :
- Renforcer la lutte contre la traite et le proxénétisme
- Accompagner les personnes prostituées
- Sensibiliser toute la société
- Responsabiliser le client.
Ces fondations construisent un édifice cohérent et solide.
Si un pilier est retiré, l’ensemble est fragilisé.
6.      Parmi ces piliers, la responsabilisation des clients fait débat au sein de votre Assemblée.
Pourtant responsabiliser le client a plusieurs fonctions :
- indiquer qu’il participe à l’exploitation d’êtres humains.
- refuser toute banalisation de cette violence.
- réaffirmer que le corps des femmes n’est pas à vendre.
-faire progresser le regard de la société, des jeunes, sur les relations entre les femmes et les hommes.
Mais responsabiliser le client c’est aussi empêcher l’enrichissement des réseaux et leur envoyer un message de fermeté : La France n’est pas un pays d’accueil pour vos trafics.
Comme l’explique une survivante courageuse que j’ai rencontrée et que je salue chaleureusement : « donner le droit aux clients d’acheter des femmes, c’est donner le droit aux proxénètes de les vendre ».
Les personnes qui achètent du sexe, et qu’on nomme par facilité les « clients », sont des acteurs du système prostitutionnel. Alors pourquoi devrait-on fermer les yeux sur leur responsabilité ?
- C’est parce qu’un client paye, que des proxénètes prostituent des femmes.
- C’est parce qu’un client paye, que les mafias en tous genre s’enrichissent.
- C’est parce que les clients payent, que la traite humaine  est la deuxième forme de criminalité la plus lucrative après le trafic de drogue.
Il faut donc désormais faire cesser l’hypocrisie qui bénéficie aux clients et leur dire qu’ils sont des acteurs du système prostitutionnel.
Pour toutes ces raisons, je veux vous dire, au nom du gouvernement, que je regrette  que la Commission spéciale du Sénat ait décidé de supprimer la responsabilisation du client.
7.      En l’état, la loi serait inefficace, mais surtout dangereuse.
Cela reviendrait à donner un signal positif aux réseaux.
Il nous faut être cohérent :
·         En supprimant le délit de racolage.
Sans faire de polémique, nous pouvons nous accorder sur le manque d’efficacité de cette approche délictuelle. On ne peut  justifier que les personnes prostituées soient considérées comme des délinquantes. Elles ne peuvent être tenues responsables d’être exploitées, vendues, achetées. C’est un non sens.
·         Mais aussi en donnant les moyens aux forces de police et de gendarmerie de remonter les filières et de faire condamner les organisateurs des trafics. Il faut que les forces de l’ordre puissent agir, mais en faisant peser la pression sur l’auteur de la violence prostitutionnelle, et non plus sur la victime.
Sans cette possibilité d’intervenir, pour les forces de polices et de gendarmerie, il deviendrait plus facile et plus lucratif pour les réseaux d’exploiter la prostitution en France.
Cela conduirait à une augmentation de la traite des êtres humains.
Ce n’est pas le message que la France veut envoyer aux réseaux de traite.
8.      Les réseaux, les mafias, les proxénètes, leurs violences, et leurs trafics, nous n’en voulons pas.
Ce sont des femmes, leurs enfants, des familles entières qui vivent sous leur menace.
Nous le savons, ces réseaux ont différents visages.
Ils s’enrichissent tant sur la vente d’armes, de drogues, que sur la vente d’enfants, de femmes et d’hommes.
Ce sont les mêmes : ils partagent la recherche du profit, et le mépris de l’humanité.
Ils sont prêts à toutes les terreurs, à toutes les barbaries.
Face à ces groupes mafieux, la réponse doit être ferme et coordonnée.
Aucun levier de doit être ignoré, écarté.
9.      Pour choisir, nous disposons d’exemples étrangers très éclairants.
Tous attestent de l’efficacité du dispositif que nous souhaitons voir adopté. Peu importent les polémiques sur les différents rapports, je fais confiance aux gouvernements européens et au sérieux de leurs évaluations.
Concernant la Suède, un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat de services sexuels publié en novembre 2010 démontre que le nombre de personnes prostituées a diminué.
Les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires mettent en évidence la décision des chefs de réseaux de quitter le territoire suédois.
Les trafiquants estiment qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes en Suède et que le marché est désormais jugé « inhospitalier ».
En Norvège, en 2013, un rapport d’évaluation a conclu que la loi sanctionnant l’achat d’acte sexuel a engendré une réduction tangible de la traite.
L’Islande, le Canada en 2014, et il y a quelques mois l’Irlande du Nord, ont adopté une législation identique.
En revanche, les pays qui ont choisi d’organiser ce système, plutôt que de le dissuader, constatent une augmentation spectaculaire de la prostitution, des risques sanitaires et des violences qui l’accompagnent.
Un tiers des procureurs allemands indiquent que cette loi a compliqué les poursuites pour traite et proxénétisme.
10.  Les choix des pays européens ont pu diverger il y a 10 ans.
Aujourd’hui, l’Europe regarde ces bilans nationaux, que je viens d’évoquer et sa position est très claire.
En 2014, le parlement européen a adopté une résolution qui affirme que la prostitution est contraire aux principes de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et notamment à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.
Cette résolution considère que la demande peut être réduite en faisant peser la charge de l’infraction sur ceux qui achètent des actes sexuels.
Elle indique que la réduction de la demande doit faire partie de la politique de lutte contre la traite dans les états membres comme cela est le cas en Suède.
Toujours en 2014, c’est l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe qui adoptait la même  position et appelait les Etats à envisager la sanction de l’achat de services sexuels.
J’ai rencontré en septembre Mme Vassiliadou, coordinatrice de l’Union européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains. De toutes parts on nous le dit : la voix de la France est attendue. Se contenter d’une loi sans ambition et sans efficacité serait indigne de notre République.
Dès 1949, la convention des nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui affirmait l’incompatibilité de la prostitution avec la dignité et la valeur de la personne humaine.
Aujourd’hui, les textes internationaux vont bien plus loin : ils dénoncent la pénalisation des personnes prostituées et ils incitent à sanctionner l’achat d’acte sexuel.
11.  En Europe comme en France, la prostitution a changé de visage.
Les trafics s’organisent à l’échelle internationale.
Aujourd’hui, la grande majorité des personnes prostituées sont étrangères et victimes des réseaux de traite qui les transportent là où il est le plus facile de les exploiter.
La législation française n’est plus efficace, un statu quo serait inacceptable.
Il est urgent d’apporter des réponses adaptées à ces nouveaux défis.
12.  Nous avons besoin des dispositifs prévus par cette proposition de loi, rapidement, sur le terrain.
Ce texte donnera un signal fort.
·         Il nomme les victimes et les auteurs.
·         Il fournit des outils aux forces de police, de gendarmerie,
·         Il permet aux associations de terrain de mieux protéger les personnes prostituées.
·         Il renforce nos moyens de lutte contre les réseaux de traite humaine.
La commission spéciale a adopté l’article qui prévoit un dispositif de protection renforcées pour les personnes prostituées menacées par leurs réseaux. Je veux saluer cette décision, ainsi que le travail mené par votre Président et votre rapporteure.
Vous avez repris et même amélioré le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle.
Ces dispositions essentielles sont attendues.
Des femmes, des hommes, en ont besoin. Ils en sont aujourd’hui privés tant que la proposition de loi n’est pas définitivement adoptée.
Le gouvernement est prêt à travailler à l’application concrète de cette loi. Les ministères de la justice et de l’intérieur,  particulièrement impliqués et mobilisés dans le travail interministériel que j’ai mené, sont pleinement associés.
La preuve la plus tangible de cet engagement collectif du gouvernement est le doublement du budget alloué à la lutte contre la traite et la prostitution dans le projet de loi de finances pour 2016.
Je pourrais donc rapidement financer des actions de terrain au bénéfice des personnes prostituées.
Mais pour agir, nous avons besoin de cette loi que vous examinez ce soir.
Notre responsabilité aujourd’hui est d’être :
·         juste, pour les victimes
·         et efficace contre les réseaux.
Cela implique de changer radicalement la vision que nous avons du système prostitutionnel. Des personnes prostituées comme  des clients.
Nous pouvons aujourd’hui, ici, ensemble, franchir un pas historique.
La France a un rôle à jouer et elle est regardée dans le monde.
Elle doit lutter contre ces criminalités.
Elle doit promouvoir les droits humains et les droits des femmes.
·         14 octobre 2015


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