Mes idées : Hamid Zanaz : ses livres et son débat avec Nadia Geerts

Revue du livre de Hamid Zanaz par Pierre Cassen http://ripostelaique.com/lislamisme-vrai-visage-de-lislam-dhamid-zanaz-dangereusement-islamophobe.html

L’islamisme vrai visage de l’islam Hamid Zanaz Editions de Paris Max Chaleil 
Voir aussi : http://elisseievna.blogspot.com/2012/02/nouveau-livre-de-hamid-zanaz-lislamisme.html A paraitre le ... 8 mars 2012 : Nouveau livre de Hamid Zanaz : " L'islamisme, vrai visage de l'islam" L'intégrisme islamique est parmi nous, insidieux d'abord puis affirmé, revendiquant ses droits jusqu'au moment où, assez fort, il impose sa loi et punit ceux qui tendent de se dérober à sa tyrannie, comme on le voit dans certaines banlieues avec le voilement forcé des filles et les agressions contre celles qui s'y refusent. État dans l'État, nourrissant les communautarismes, refusant de se plier aux lois de la République, il proclame que c'est à la République de s'adapter à l'islam. Hamid Zanaz, issu de famille musulmane, connaît l'islam et ses avatars pour avoir vécu en Algérie où il a enseigné la philosophie à l'Université. Sa maîtrise de la langue lui donne accès à des textes savants et des articles habituellement inaccessibles. Écrivain et penseur libre, il dévoile le double visage de l'islam, ses complicités et ses stratégies. À l'heure des printemps arabes. on lira ici avec profit les propos d'un étudiant en médecine égyptien prêt à se débarrasser des vestiges de la civilisation pharaonique et qui considère que l'histoire commence avec l'islam. On découvrira aussi Al Quassimi, cheikh « repenti » du Wahha­bisme, devenu l'un de ses critiques les plus radicaux. L'auteur montre qu'islamisme et islam visent en réalité le même but: imposer la loi musulmane partout dans le monde, l'un ouvertement, l'autre masqué. Ce livre est un cri d'alarme lancé par un homme courageux : ouvrez les yeux au lieu de pratiquer la politique de l'autruche, ne faussez pas le débat par des indignations de pacotille. Apprenez d'abord à connaître le péril qui guette la démocratie, la liberté de conscience et celle des femmes, et sachez déjouer les pièges et les mensonges car, selon la taqîya, mentir pour le bien de la religion n'est pas un péché en islam. Derrière l'affirmation d'une prétendue supériorité de l'islam sur tout pacte social et républicain, se profile l'avant- garde du djihad. Il est grand temps de le savoir. Traducteur et journaliste indépendant, Hamid Zanaz collabore à différentes pu­blications arabes et françaises. Contributeur permanent à la revue de la ligue des rationalistes arabes, Al Awan, il donne aussi des conférences sur l'islam. Il est l'auteur de nombreux essais, tant en arabe qu'en français, sur différents pro­blèmes sociétaux touchant à !a religion, à la sexualité, à la politique ou à la science dans le monde islamique. POUR RAPPEL, analyse du précédent livre de Hamid Zanaz : http://penselibre.org/spip.php?article246 "L’impasse islamique - La religion contre la vie" par Hamid Zanaz Hamid Zanaz : L’impasse islamique – la religion contre la vie [1] Bien souvent, des auteurs demandant que le religieux reste strictement dans la sphère privée déclarent néanmoins : "je suis musulman(e), croyant(e), mais je suis laïque". Je ne mettrai pas en doute leur sincérité. Peut-être ne veulent-ils pas se couper de l’ensemble des croyants, espérant ainsi mieux les convaincre. D’autre part, il ne faudrait pas oublier qu’à l’époque de l’hégémonie de l’Eglise catholique, peu de penseurs libres osaient se déclarer totalement athées… Athée, anti-religieux, voilà comment se définit ouvertement Hamid Zanaz. Sachant ce qu’il en a coûté à Salman Rushdie d’avoir écrit Les versets sataniques (que les lanceurs de fatwa n’ont sans doute même pas lu), à Taslima Nasreen et à Ayan Hirsi Ali d’avoir contesté les préceptes coraniques, on ne peut que saluer un tel courage, qui n’est pas seulement intellectuel. De bout en bout, ce livre est passionnant. L’auteur a eu beau faire des études de philosophie, il n’en parle pas moins clairement, sans jargon, sans emphase. Le style est vif, alerte, sans recourir à la plaisanterie anticléricale qui nuirait là au sérieux du propos. Que dit donc Hamid Zanaz ? Ce que tout libre penseur, tout libertaire dit couramment, depuis des décennies, des religions judéo-chrétiennes, mais aussi des superstitions, et de toutes les traditions qui enferment et la pensée, et la liberté. Ainsi : « La foi prétend nous sauver, la philosophie nous ouvre le chemin pour nous sauver nous-mêmes. [2] » « Cette prétendue relation entre la foi et la raison est devenue un couple officiel aujourd’hui. C’est la négation même de la pensée. Et j’irai presque jusqu’à dire que la foi est incompatible avec l’exercice honnête de la philosophie. L’athéisme est le métier du philosophe. [3] » Seulement, il s’agit de l’islam. Et voilà tout un pan de la « gauche » anticolonialiste et anticapitaliste, qui s’émeut, se rétracte, attention, danger, islamophobie ! A propos de ce terme, Hamid Zanaz remarque que ce « mot-piège » est utilisé par les islamistes, qui espèrent conquérir davantage de concessions, par les tenants d’une laïcité « positive » pour qui l’islam ouvre une brèche inespérée permettant le retour ultérieur du christianisme et de ses privilèges, et enfin par « Les idiots utiles, tous ceux qui rêvent que l’islamisme est révolutionnaire, ceux qui le considèrent comme allié dans leur lutte légitime contre le capitalisme. Compter sur l’islamisme pour abattre le capitalisme, c’est vouloir guérir la peste par le choléra. [4] » A ceux qui attribuent à la seule invasion européenne les innombrables problèmes sociaux et économiques des populations, Hamid Zanaz répond : « Les musulmans n’ont pas attendu le colonialisme pour sombrer dans le chaos. Ils y étaient confortablement installés depuis le XVème siècle. [5] » Il précise à propos des problèmes de société tels que la misère, l’humiliation, la frustration : « Qu’il soit l’ensemble de ses conséquences ou l’ensemble de ses causes, la chose la plus certaine c’est que l’intégrisme islamique ne vient pas des lointains bidonvilles ou des banlieues de l’Occident. Il est tout aussi ridicule de lier la montée de l’intégrisme à l’échec du modèle de modernisation adopté approximativement par l’Etat-nation arabe. Au contraire, c’est la puissance financière assurée par l’islam pétrolier aux islamistes arabes qui est, en partie, responsable de l’échec de l’expérience moderniste dans plusieurs régions du monde islamique. [6] » Pour l’auteur, l’islam est un facteur de régression, comme bien d’autres religions, à ceci près qu’il semble impossible de le faire évoluer vers une version plus ouverte, les textes étant considérés comme intangibles. Même les tentatives d’ijtihad, c’est-à-dire de réinterprétation, sont vouées à l’échec et dissimulent en fait un simple « relookage ». L’intégrisme, dans n’importe quelle religion : la foi poussée à son terme ultime. Hamid Zanaz fait une critique féroce du lien intrinsèque entre vie sociale et islam, dans lequel l’individu ne peut être reconnu : « Le « je » est totalement noyé dans le « nous ». [7] » Plus loin : « Le dispositif normatif islamique dissout l’individu et rien ne se met en place pour sortir des structures holistiques vers les structures modernes : de la primauté du tout social (ou tribal) à la primauté de l’individu, du principe hiérarchique à celui d’égalité, de la connaissance absolue à la connaissance relative. La religion est l’ancêtre de la pub, toutes les deux créent l’insatisfaction et la frustration. Elles aspirent à détruire les identités personnelles pour former des troupeaux. Le but de ces deux idéologies n’est autre que la dissolution du Moi, la désindividualisation, or « rien pour Moi au-dessus de Moi [8]. [9] » Il n’est donc pas surprenant que « Le problème des musulmans réside dans leur incapacité morale à reconnaître à chacun la liberté de conscience. [10] » En effet : « Une fatwa peut rendre automatiquement licite ou illicite n’importe quelle action humaine. On a peur de la liberté du croyant. Sa raison est exclue. Ni doute ni questionnement, la providence se charge de lui dicter un catalogue de bonnes manières… [11] » Outre la raison, la femme est, elle aussi, une ennemie d’Allah ! « Le croyant musulman a peur de sa nature. Sa sœur musulmane ne doit pas se déplacer à vélo car le mouvement de ses cuisses serait évocateur ; elle doit cacher ses cheveux pour ne pas réveiller ses démons car la femme est porteuse de la fitna. [12] Sa beauté est une fitna, séduction et sédition. C’est un appât qui mène à la perte, à la damnation. En fin de compte, la beauté est un piège de Satan et une révolte contre Dieu. […] Pour se protéger du démon féminin et devenir anges ensuite, les hommes doivent passer par une dématérialisation du corps des femmes, détruire l’objet de leur désir. Casser le thermomètre pour faire baisser la température ! Gommez par burka, melaya, tchador, thadori, haïk, masque de cuir, nikab, mendil, sefsari, jilbab, khimar, des corps que je ne saurais regarder. [13] » (Comment ne pas penser à Molière dans Le Tartuffe : « Cachez ce sein que je ne saurais voir. ») « Les hommes, dans ce désert amoureux, ne sont pas encore passés du stade de la prédation à celui de la séduction. [14] » C’est donc, suivant une curieuse logique, les hommes qu’il faut protéger des femmes. De fait : « La pression a poussé des millions de femmes à se considérer peu respectables sans voile. [15] » La religion contre la vie… Cela est vrai, on le comprend, pour la moitié féminine de l’humanité lorsque la société est régie par ses diktats, c’est tout aussi vrai pour les hommes. Les unes et les autres se voient privés d’une dimension affective, intellectuelle, spirituelle même : « Tout ce qui tourne autour de la spiritualité du musulman contemporain se résume dans un pauvre catalogue de commandements en forme de choix. Des dualités, comme islam/paganisme, enfer/paradis, gagnants/perdants, sauvés/damnés, unitarisme/polythéisme, tradition/innovation, sont récurrentes dans le discours dominant. Une vision binaire du monde. Ces quelques couples d’opposés ne sont-ils pas trop courts pour cerner la vie intérieure d’un être dans toute sa complexité ? [16] » Hamid Zanaz s’inscrit en faux contre le relativisme culturel : « Ceux qui répètent que toutes les valeurs sont bonnes et que toutes les cultures se valent contribuent à leur insu à la promotion de la barbarie. Il y a des valeurs acceptables quels que soient le lieu, le temps, les circonstances. Il y a, à l’inverse, des coutumes qui sont des crimes quels que soient le lieu, le temps, les circonstances. Couper les mains et les pieds, voiler et cloîtrer les femmes, répudier, lapider, l’exhibition sadique, sont-elles des valeurs ? Une barbarie ou une culture ? L’inhumanité ne se discute pas, elle se refuse. [17] » « Rien ne marchera sans la déconstruction des rapports non pas entre le religieux et le politique, mais entre le religieux et l’individu. [18] » Cette proposition peut concerner toutes les religions, toutes les idéologies totalitaires, mais pas seulement. Il me semble qu’elle pourrait utilement s’appliquer - et là j’ai pleinement conscience du caractère désagréable de ce propos - aux croyances plus ou moins conscientes que conservent les partisans des révolutions menant à l’avenir radieux, sans jamais leur appliquer la méthode du doute et de l’examen critique. Ce serait pour moi une façon, entre autres, de donner vie à la formule « Ni dieu ni maître »... Léonore Litschgi [1] Les Editions libertaires, septembre 2009 [2] p.91 [3] p.92 [4] p.142/143 [5] p.155 [6] p. 62/63 [7] p.127 [8] Citation de Max Stirner [9] p.128 [10] p.132 [11] p. 116 [12] fitna = grande discorde [13] p. 123 [14] p. 106 [15] p. 11 [16] p. 130/131 [17] p.68/69 [18] p. 132 http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/islam-islamisme-dialogue-entre-92252 Islam-islamisme :

dialogue entre Hamid Zanaz et Nadia Geerts Nadia Geerts, agrégée en philosophie, auteur notamment de « Fichu Voile ! », préfacé par Claude Javeau et postfacé par Caroline Fourest, éd. Luc Pire, mars 2010, Bruxelles

Hamid Zanaz : Votre dernier livre ‘Fichu voile !’ est une radioscopie de l’islamisation rampante de la société belge. Pouvez-vous nous faire un état des lieux et des dieux dans votre pays ? Y a-t-il une spécificité belge concernant l’islamisme ?

Nadia Geerts : Je ne pense pas qu’il y ait une spécificité de l’islamisme en Belgique. L’islamisme n’a pas de frontières, et ses modes d’action sont partout les mêmes. En revanche, il y a une spécificité belge qui constitue peut-être un terreau plus favorable au développement de l’islamisme que le terreau français, par exemple : la Belgique n’est pas un Etat laïque. C’est un pays relativement laïcisé, mais le principe même de laïcité n’est pas inscrit dans la Constitution, et la laïcité y est souvent perçue plus comme un « culte » (confondant ainsi laïcité et athéisme) que comme un principe politique. La société belge préfère aussi, traditionnellement, la notion de pluralisme à celle de laïcité. Aussi, quand des revendications fondamentalistes s’expriment (comme par exemple le droit de porter le voile partout, tant à l’école que dans les administrations publiques ou au Parlement), sommes-nous mal armés pour y faire face. D’aucuns considèrent ces revendications comme légitimes, et défendent un modèle plus communautariste, à l’anglo-saxonne, que réellement laïque. Ce qui permet aux islamistes d’avancer leurs pions.

H.Z : Le modèle communautariste a démontré ses limites. Il est devenu une machine à fabriquer des islamistes en Europe…Il est remis en cause même chez vos voisins hollandais, champions en la matière. Y a-t-il une prise de conscience de la classe politique belge sur l’illusion de la notion de pluralisme ?

Nadia Geerts : Je ne dirais pas que le pluralisme est en soi une illusion, s’il s’agit de désigner par là la coexistence de personnes de culture différente sur un même territoire. En revanche, la question me semble être celle de la gestion de ce pluralisme, notamment en matière religieuse. Et là, le modèle communautariste fait en effet beaucoup de dégâts en Europe, en encourageant l’expression de ce qui divise plutôt qu’en recherchant la mise en avant de ce qui rassemble. Les chiffres montrent bien que les pays communautaristes ne réalisent pas mieux l’intégration des populations d’origine étrangère que les pays à tendance « universaliste », au contraire : le taux de mariages mixtes y est bien plus faible, et les sociétés sont bien plus ghettoïsées. Il est difficile de dire si la classe politique pèche par naïveté ou par électoralisme en encourageant ce communautarisme. Cela dit, des personnalités politiques se démarquent de cette attitude générale, que ce soit au sein du monde libéral (le plus critique aujourd’hui vis-à-vis de la complaisance envers l’islamisme) qu’au sein du monde socialiste. Mais fondamentalement, je crois que majoritairement, le monde politique belge ne peut se résoudre à adopter un modèle de laïcité à la française : cela fait peur, cela s’éloigne de la tradition belge qui consiste à chercher le compromis, le consensus, plutôt qu’à défendre des principes.

H.Z : C’est vrai, le pluralisme en soi n’est pas une illusion. Mais pour vivre un pluralisme apaisé, un minimum réciproque de concessions est plus qu’indispensable. Ni le lecteur de votre livre ‘Fichu voile’, ni celui qui se promène à Molenbeek, le petit Maroc selon votre compatriote flamande Hind Fraihi (Undercover In Klein-Marokko), ne pourrait croire aisément à un probable consensus. Que faire avant que la Belgique toute entière devienne Molenbeek ?

Nadia Geerts : Molenbeek est un cas très particulier à Bruxelles, et son bourgmestre (maire), Philippe Moureaux, porte une lourde responsabilité dans la ghettoïsation de sa commune, tant il a fait preuve de clientélisme vis-à-vis de la population musulmane. Heureusement, toute la Belgique n’est pas Molenbeek, et je ne pense pas que le risque existe qu’elle le devienne. En revanche, le risque existe bel et bien de voir se développer des zones (elles existent d’ailleurs déjà) où le communautarisme exacerbé met en danger le vivre ensemble. Certaines communes bruxelloises, sous prétexte d’adaptation à la « réalité de terrain », proposent déjà de la viande hallal dans les écoles ou des heures de piscine réservées aux femmes, et à Anvers, des élèves ont commencé à aller à l’école en burqa, juste avant que la directrice prenne la décision, pour cette raison, d’interdire purement et simplement le port du voile. La solution, selon moi, passe par une réflexion en profondeur sur la place des religions dans l’espace institutionnel, à l’école, dans la fonction publique, au Parlement. Il importe de développer l’idée que si l’on a parfaitement le droit de se sentir « d’abord croyant » dans sa vie privée, une société ne peut fonctionner si l’on ne se sent pas « d’abord citoyen » dans certaines situations. A force de développer l’idée qu’il fallait respecter inconditionnellement les revendications estampillées « religieuses », on aboutit à un délitement du lien social : les différences sont survalorisées, et ce qui nous rassemble, ou devrait nous rassembler (la recherche du bien commun) disparaît. C’est pour moi le danger essentiel du communautarisme.

H.Z : Vous écrivez dans ‘ Fichu Voile’ que la question qu’il faut se poser aujourd’hui n’est pas celle de l’islam en Belgique, mais, bien plus généralement, du type de société dans laquelle nous voulons vivre : « voulons-nous d’une société patchwork, juxtapositions de diverses communautés ne se mélangent guère, ou d’une société réellement interculturelle, fondée sur la reconnaissance d’un socle de valeurs communes qui transcendent nos divers particularismes, fussent-ils religieux ? »p.28 Votre question n’est-elle pas en quelque sorte une description objective de la société belge d’aujourd’hui, un constat ? Pensez-vous que les musulmans puissent faire la moindre concession vis-à-vis de leur dogme, quand on sait que l’islam est législation plus qu’une spiritualité ? La collision entre l’islam et la société moderne n’est-elle pas inévitable ? N’est-il pas l’islam lui-même qui pose problème, et non pas l’islamisme ? 

Nadia Geerts : En effet, la société belge évolue actuellement, du moins dans certaines villes, vers une simple juxtaposition des particularismes, et c’est préoccupant. Cela dit, des voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour réclamer un cadre laïque qui permette de sortir de cette « impasse communautaire » qui mine le vivre ensemble. Concernant la distinction entre islam et islamisme, je pense qu’elle est pertinente. Il est vrai qu’aujourd’hui, l’islam pose problème, justement parce que c’est trop souvent la lecture islamiste qui prévaut. Les voix musulmanes laïques, démocrates et progressistes sont trop souvent bâillonnées, donnant l’impression fallacieuse que le seul islam qui existe est un islam politique, rigoriste, conservateur et antilaïque. Cependant, il ne faut jamais oublier qu’à côté des activistes islamistes que l’on entend beaucoup, il y a une majorité silencieuse de musulmans qui ne demandent qu’à vivre en paix, ne revendiquent pas d’ »accommodement raisonnable » en fonction de leur religion et souscrivent aux principes laïques. Pour prendre l’exemple précis du port du voile à l’école, la majorité des jeunes filles qui le portent acceptent de l’enlever en entrant à l’école ; mais tout se passe comme si le seul point de vue « musulman » sur la question était le refus de toute interdiction du port du voile. C’est là que réside le danger.

H.Z : Musulmans laïques, démocrates et progressistes ! Excusez-moi, mais cela ressemble à une blague belge. Je ne vois vraiment pas comment peut-on être musulman et laïque ? Etre laïque et démocrate, c’est refuser la charia, la loi d’Allah, c’est-à-dire l’islam lui-même ! Exemple : un immigré marocain ou algérien refusant à sa fille la liberté de se marier avec un non musulman, est-il musulman ou islamiste ? Le voile est-il une invention intégriste ou un impératif islamique ?

Nadia Geerts : Etre laïque, c’est à mon sens être partisan de la séparation du droit et de la foi. Et je pense que, même si globalement, l’islam est actuellement dans une mauvaise passe, on peut en effet être musulman et souscrire à ce principe de laïcité politique. Je ne nie pas que le problème de l’islam tient à ce que, bien plus que les autres religions du livre, ce soit une religion fondée sur le message d’un prophète qui fut à la fois chef spirituel et dirigeant politique. Néanmoins, on trouve dans l’islam des courants rationalistes, comme les mutazilites par exemple, qui insistaient sur la nécessité de lire le texte coranique à la lumière de la raison. Il y a également aujourd’hui des intellectuels musulmans qui mettent l’accent sur la nécessité de lire le Coran dans une perspective historique, en le contextualisant. Concernant le voile, il s’agit clairement, pour moi, d’un prescrit qui n’a rien d’islamique. La première trace de l’obligation faite aux femmes vertueuses de se voiler date d’ailleurs du XIIè siècle avant JC, bien avant la naissance de l’islam donc. Faire d’une coutume traditionnelle un prescrit fondamental de l’islam, c’est de toute évidence utiliser la prétendue religion (rappelons qu’aucun verset du Coran ne dit clairement que les femmes doivent se couvrir la tête) à des fins politiques de contrôle du corps des femmes. C’est donc de l’islamisme.

H.Z : Je ne partage pas votre analyse même si je la trouve sympathique, optimiste et surtout responsable. Vous avez raison, être laïque, c’est être partisan de la séparation du droit et de la foi. Néanmoins, on ne peut nier que la loi et la foi sont les deux faces d’une même pièce en islam. Dans ce cas, comment séparer l’inséparable ? Vous affirmez qu’aucun verset du coran ne dit clairement que les femmes doivent se couvrir la tête. Sans tomber dans une querelle d’interprétation, le voile est le résultat logique du statut de la femme en islam car le minorât de la femme est un commandement religieux. Le Verset 31, Sourate 24, dit mieux, Allah donne l’ordre au prophète de dire aux femmes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté et de ne rien montrer de leurs atouts et de rabattre leur voile sur leurs poitrines etc. Quant aux réformistes islamiques, je me demande comment pourraient-ils lire rationnellement le verset 34, Les femmes : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris) et protègent ce qui doit être protégé pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah admonestez (les femmes) dont vous craignez l’infidélité ; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les .Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent. »

Nadia Geerts : Je ne suis pas théologienne. Néanmoins, je pense que la contextualisation, ou l’historicisation, consiste justement à déterminer ce qui, dans un texte « sacré » quel qu’il soit, relève de l’universel, et ce qui s’inscrit dans un contexte historique, politique, culturel, etc. particulier. Ainsi, il existe des courants au sein même de l’islam qui défendent l’idée que certains versets, par exemple ceux qui accordent moins de droits à la femme qu’à l’homme, se justifient historiquement, en raison du contexte de l’époque, mais ne doivent en aucun cas être pris à la lettre pour déterminer comment gérer les relations entre hommes et femmes aujourd’hui, dans un contexte essentiellement différent. Plus fondamentalement, je trouve dangereux les discours qui conduisent à placer les musulmans devant une seule alternative : soit être des fondamentalistes, qui lisent et appliquent le Coran à la lettre, soit devenir des athées. Il me semble que ce discours a peu de chances de faire évoluer les choses, et qu’au contraire il peut renforcer les tenants du fondamentalisme. Aidons les musulmans progressistes et démocrates, plutôt que de leur dire que le vrai islam, ce n’est pas ça ! Le danger réside pour moi dans la sédimentation d’une religion, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire dans le fait de refuser qu’elle puisse évoluer, ce que toutes les religions ont pu faire grâce à des esprits éclairés qui ont su distinguer l’esprit de la lettre. C’est ce mouvement-là qu’il faut, selon moi, encourager au sein de l’islam. Car mon but n’est pas de transformer les gens en athées, mais de trouver une manière de vivre ensemble dans le respect d’un certain nombre de principes fondamentaux, au nombre desquels la laïcité politique.

H.Z : Aucun esprit libre ne veut dicter aux musulmans comment ils devraient s’y prendre avec leur religion. A chacun de considérer sa religion comme il l’entend, du moment qu’elle reste dans le domaine strictement privé. Aucun démocrate ne veut transformer les croyants en athées. Au contraire, c’est l’oppression communautaire qui veut transformer les gens en croyants. Je voulais simplement dire, à travers ma question précédente, que l’islam n’est pas une religion comme une autre, dans le sens où le Coran n’est pas vu comme un texte inspiré mais comme dictée divine, et cela gène énormément son interprétation. Nier cela ne rend service ni aux démocrates, ni aux musulmans. Mais étant donné qu’aujourd’hui, c’est la journée internationale de la femme, je vous laisse le dernier mot.

Nadia Geerts : Je vous accorde qu’il est sans doute difficile de dissocier l’islam spirituel de ses aspects politiques, dès lors que le Coran est à la fois l’un et l’autre. Néanmoins, je pense que cette voie-là est possible, et que c’est elle que nous devons encourager, plutôt que d’enfermer l’islam dans ses interprétations les plus littéralistes et rétrogrades. Ne prenons pas le risque d’envoyer comme message aux musulmans humanistes, démocrates et laïques que leur interprétation de l’islam est erronée. Car après tout, ce sont les hommes qui font les religions…